RD Congo : payer pour passer dans la classe supérieure

Publié le par kolwezinfo

RD Congo : payer pour passer dans la classe supérieure

(Syfia Grands Lacs/RD Congo) Certains parents ou élèves de la RD Congo payent les chefs d'établissement scolaires pour obtenir le document leur permettant de s'inscrire dans une autre école sans redoubler de classe, même s'ils n'ont pas réussi. Des fraudes qui ne font qu'abaisser le niveau scolaire général. A Lubumbashi, des écoles tentent de lutter contre cette corruption des enseignants.

"La vie coûte cher. Les frais scolaires et les autres frais d’intervention ponctuels perturbent le budget des parents qui, pour la plupart, sont sans emploi ou sous payés. Ce qui pousse certains à accepter que leurs enfants montent de classe par la fraude en changeant d’école même après avoir échoué pour éviter de dépenser doublement", tente d’expliquer un parent d’élève de Lubumbashi au sud-est de la RD Congo. Ici, comme ailleurs dans le pays, beaucoup d’élèves soutenus ou non par leurs parents préfèrent passer dans la classe supérieure même sans avoir réussi. Ils recourent à des faux documents obtenus moyennant de l’argent auprès des responsables d’écoles ou des faussaires de rue.
Ils peuvent ainsi changer trois voire quatre fois d'écoles au cours d’un même cycle secondaire de six ans. "Il devient de plus en plus difficile de trouver un élève terminer un cycle avec les bulletins d’une même école", s’étonne Daniel Munakongo, préfet des études dans une école privée. Directrice d’une école primaire, Marie Thérèse Mwakamba dit ne pas hésiter à renvoyer un enseignant qui tente de négocier la sortie des faux documents de son école: "Je m’indigne quand je vois un parent venir dans mon bureau, négocier un faux bulletin pour son enfant qui a échoué. Nous avons besoin d’une société consciente. Pour y arriver, il faut que nous formions bien ces élèves qui, à leur tour formeront les autres".
Certains parents en sont conscients. "Quand j’ai proposé à mon père de changer d’institution, sa réponse a été sévère. Il a dit niet. Il faut que je reprenne pour bien comprendre avant de monter de classe supérieure, affirme Trésor Tshiey, un étudiant redoublant. Il a même dit que payer deux fois une promotion ne le dérangeait pas si c’est le prix à payer pour mon développement personnel".

Des responsables se rejettent la faute
Officiellement l’Etat ne permet à un élève de changer d’école qu’à certaines conditions. "Il faut qu’il ait terminé le cycle, ou que ses parents soient mutés dans une autre zone, ou l’option de préférence de l’élève n’est pas dans son école de provenance ou alors c’est prouvé que le niveau de l’enseignement dans cette école a baissé", précise Germaine Mbayo, secrétaire à la sous division de l’enseignement primaire secondaire et professionnel (EPSP) de Lubumbashi. Mais il faut surtout que l’élève soit muni d’une fiche de mouvement, dûment signée par le service d’identification, indiquant l’école de provenance et celle de la destination".
A divers niveaux cependant les responsables se rejettent la faute. Au service national d’identification d’élèves, Robert Lushima, chef d’antenne de Lubumbashi s’en prend aux chefs d’établissements qui délivrent des faux bulletins : "Ici nous ne vendons pas des bulletins aux individus. Si un élève a un faux bulletin, il a sûrement dû + coopérer + (eut recours à des moyens frauduleux, ndlr) avec des chefs d’établissement". Ces derniers pointent à leur tour un doigt accusateur vers les imprimeurs et les copieurs. "N’importe quel imprimeur peut fabriquer des bulletins. Les photocopies sont partout et les sceaux se fabriquent aussi. Nous ne pouvons pas gérer tout ça à notre niveau", admet, impuissant, Etienne Mulombo, promoteur d’une école privée qui a été victime de cette pratique. "Je suis tombé sur un groupe d’élèves qui avaient des faux bulletins de mon école. On a remonté la filière jusqu’à trouver la personne qui a fabriqué le sceau. Je l’ai traduit en justice", témoigne-t-il.

Un réseau pour freiner la fraude
Un réseau d’écoles primaires et secondaires, pour la plupart catholiques et protestantes, a mis en place un mécanisme qui permet de limiter la fraude et le vagabondage scolaire. Ces écoles se transmettent entre elles les palmarès de chaque année. Ainsi un élève qui change d’école ne pose plus problème parce qu’en plus de vérifier l’authenticité des documents qu’il apporte, on vérifie également son nom et son sort dans le palmarès de l’école de provenance. "Avec cette technique on nous trompe moins, affirme Pétronille, préfet du lycée Hodari. Si l’enfant vient d’une école qui ne nous envoie pas son palmarès, on se donne la peine de descendre dans son école de provenance pour vérifier. Notre institution a toute une commission qui ne s’occupe que de l’étude des dossiers".
Daniel Munakongo, du complexe scolaire Les bourgeons, ne fait pas de quartier pour défendre l’image de marque de son école. "En donnant nos palmarès aux autres écoles, nous prouvons notre volonté de bien former et de ne pas permettre aux falsificateurs de salir notre réputation, déclare-t-il. Nous avons en outre un sceau sec qui ne s’imite pas facilement. Cela nous coûte mais c’est ça qui fait notre fierté. Et chaque année le nombre d’élèves ne fait qu’augmenter car les parents nous font confiance".

ENCADRE

Kolwezi
L’achat de gâteaux obligatoire pour avoir de bonnes notes

A Kolwezi, 300 km de Lubumbashi, une pratique qualifiée de "pédagogie de survie" se développe dans plusieurs écoles de cette ville minière : des enseignants obligent les élèves à acheter beignets, biscuits et diverses friandises qu’ils leur vendent plus cher que sur le marché. "En vérité, je touche un salaire de misère. Je dois donc me battre dans un contexte où la débrouillardise l’emporte sur les structures de l’économie formelle", se justifie A. N, un enseignant qui vend des gâteux à ses élèves.
Elève en deuxième année secondaire, J. B, se plaint : "le titulaire de notre classe dispense des cours importants tels que le français, la géographie et le civisme. Pendant les cours, il remet un gâteau aux élèves et conditionne la réussite à l’achat de sa marchandise". Les enseignants "vendeurs" se recrutent à la maternelle comme au primaire. "Ils sont présents à l’école. Ils ne s’absentent jamais non pas parce qu’ils ont une conscience professionnelle, mais parce qu’ils doivent exercer leur vente", constate M.P., un membre de l’association des parents des élèves de Kolwezi.
La société civile ainsi que les ONG de défense des enfants s’insurgent contre cet état de fait. "L’école doit encourager les activités parascolaires pour les enseignants et sanctionner tout acte qui entrave la bonne éducation de l’élève. Il faut sanctionner ceux qui apprennent la corruption aux enfants", ont recommandé les responsables fin octobre lors d’une campagne de sensibilisation contre la corruption en milieu scolaire à Kolwezi.

Toto Kyanda

Toto Kyanda, Régine Kapinga Kabwe

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article